Départ de Port Saint-Sauveur (PK 6,1) à Toulouse le 8 août 2011.
1er Jour :
Je pars à 8h00 comme prévu en laissant ma femme et mon plus jeune fils sur le bord. Je sais que dans 7 km et environ une heure, je les reverrais à la sortie de Toulouse pour un vrai « au revoir »…
Il ne fait pas une chaleur d’août et je garde ma polaire bien au-delà de 2 heures après mon départ.
Je suis concentré à bloc et je pagaye en essayant de mettre un maximum de fluidité plutôt que de forcer pour avancer. Il faut tenir 3 jours !
Ma planche glisse bien, je maitrise mon row de mieux en mieux en jouant sur l’outline de ma planche et en perturbant au minimum les flux autour de moi. Je pourrais avancer droit en pagayant toujours du même côté mais tous mes muscles doivent être mis à contribution donc je change régulièrement…
Aux alentours de 3 heures après mon départ, je rencontre Jérôme qui m’avait prévenu qu’il ferait un petit bout de chemin avec moi. Il marche sur la voie cyclable, prends quelques photos et m’encourage pour la suite avant de me laisser à ma pagaie…
Je m’alimente et bois quelques gorgées d’eau régulièrement avec toujours à l’esprit qu’il est important de rester concentré sur tout pour éviter un pépin. Je n’ai pas du tout envie de renoncer pour une bêtise…
Fringale, mauvaise glissade entrainant une blessure, forces à préserver pour arriver au bout, affaires à ne pas mouiller pour maitriser mon poids, tout est important pour y arriver plus facilement…
D’autre part, même si cela n’est pas vital pour avancer, la gestion de mes ressources en énergie pour mon GPS est aussi importante parce que je souhaite enregistrer un maximum de paramètres. Alors je pense aussi à orienter mon chargeur solaire correctement pour recharger facilement les batteries.
Premier arrêt repas à l’écluse d’Ayguevives. C’est la quatrième et je commence à prendre quelques bonnes habitudes pour décrocher mon matériel, sortir ma planche sans bobos, et porter le tout jusqu’à la remise à l’eau. Pour le moment les écluses montent et il en reste 8 comme ça…
24,8 km au GPS en 4h21mn. C’est moins vite que ce que je pensais avant de partir et je commence à penser que les écluses vont être déterminantes dans mes moyennes à venir.
Je repars après avoir engouffré quelques barres de céréales, des chips à la banane et répondu aux curieux qui se demandent bien ce que je fais là avec cet engin…
Prochain objectif, Port Lauraguais. C’est une aire d’autoroute à environ 20 km et un point stratégique qui me donne une vue plus concrète de mon avancement puisqu’elle est aussi sur des routes que j’empreinte toute l’année. Je m’y arrêterais pour refaire le plein d’eau, et bien m’en a pris car elle était fraiche, directement au comptoir du bar.
Je ne traine pas, et repars avec pour objectif le seuil de Naurouze, endroit stratégique sur le canal puisque les eaux se partagent à cet endroit. Dès ce passage, les passages d’écluses seront plus faciles puisque ce seront des marches descendantes.
J’y arrive finalement très vite et apprécie les écluses descendantes après environ 9h00 d’efforts aujourd’hui. J’en passe 5 de plus avant d’arriver sur le port de Castelnaudary où poussé par le vent de nord-ouest je fais ma première bêtise du parcours… je ne refais pas mon plein d’eau !
Après le grand bassin de Castelnaudary, je passe une écluse à 4 bassins, la plus grande depuis que je suis parti. La fatigue aidant, ce sera la première fois que je ne porte pas tout mon matériel d’un coup.
Je veux maintenant m’éloigner de la ville pour être plus tranquille et planter ma tente en restant discret.
J’atteins la première écluse après Castelnaudary avec une seule chose en tête, trouver de l’eau. Sans me poser trop de questions, je me dirige vers la première péniche et j’y rencontre une famille qui me donnera spontanément la bouteille qui me permettra de passer une première bonne soirée de récupération.
Il est 20h45, et les comptes sont vite faits : un peu plus de 12h00 d’efforts et environ 64 km parcourus. Je suis dans les clous au niveau distance, mais clairement, les temps que j’avais prévus étaient très présomptueux.
Quoi qu’il en soit, pas de bobos, et après un « bon » repas chaud, quelques petits soins sur ma personne, et avoir prévenu tout le monde que je suis « OK », tout est en ordre pour que la nuit se passe bien.
2ème Jour :
Réveil 6h30. Un SMS à ma femme pour la rassurer sur ma nuit. Café et gâteau au chocolat sur vitaminé. Rangement de mes affaires…
Et à 8h00, je suis sur l’eau entouré par les troupes de la Légion Etrangère en plein footing matinal le long du canal. C’est cool… Tout le monde se dit bonjour dans cet endroit hors du temps et tout au long de mon parcours, je ferais attention de ne pas rater ces politesses au moins par un signe de tête ou un sourire.
Aujourd’hui, fort de ma première bonne journée passée, j’ai un peu plus le cœur à flâner. A la troisième écluse, après environ 1h00 je m’arrête à une écluse qui fait aussi café. Je prends un peu plus mon temps, je discute avec les gens qui me posent plus facilement des questions, m’ayant déjà vu la veille…
Là, je me rends compte que les cyclistes qui parcourent le canal en vélo prévoient aussi environ 60 à 65 km par jour. La même chose que moi, mais eux vont de 2 fois plus vite que moi… Et donc peuvent se permettre de flâner beaucoup plus que moi !
Il ne faut donc pas trainer et c’est reparti…
Après 5h00 à avancer, arrêt repas de 13h30 à 14h00. Je recharge aussi la batterie de mon GPS qui je pense à un problème et ne se recharge pas complètement…
Je repars avec en tête de parcourir au minimum 60 km pour ce deuxième jour. Les écluses me freinent énormément et maintenant j’en suis sûr, elles prennent en moyenne 7 à 8 minutes alors que si je pouvais ramer à la place, je ferais la même distance en 1 minute, et en réalisant beaucoup moins d’efforts dus aux portages.
Je ne fais pas seulement du Stand Up Paddle mais un vrai parcours du combattant… 19 écluses hier, 21 aujourd’hui et en tout, je me rappelle qu’il y en a 65…!!!
Peu m’importe, c’est mon aventure… Et c’est grâce au SUP que je suis là !
Je vais maintenant traverser Carcassonne et juste avant de passer dans la ville, et sans savoir si c’est le hasard, je rencontre Eric, grand connaisseur des sports « nature » de la région. Rapide rencontre, mais qui file la pêche pour continuer…
Après le Port de Carcassonne, je passe l’écluse en pleine ville, face à la gare et j’ai l’impression d’être l’attraction du jour. Clairement, je ne pense pas qu’ils aient trop l’habitude de voir un surfer, planche sur l’épaule, à cet endroit là.
J’avance, mais je commence à penser à mes différents points d’eau pour ne pas me faire avoir comme hier. 2 écluses avant la fin de ma journée, j’ai repéré le petit port de Trèbes qui me permettra d’assurer mon ravitaillement.
Lorsque j’y arrive, tous les bistrots sont pleins, et sur beaucoup de péniches se préparent les repas et les soirées en famille ou entre amis. Je suis un peu jaloux, mais je ne me laisse pas déconcentrer, fais le plein, et trace. Après coup, je me rappellerais de ce petit port comme un des plus beaux traversés.
L’écluse de sortie est une triple, j’ai déjà 50 km et 10h30 dans les épaules et je fais le portage en 2 fois.
Ensuite, c’est reparti pour encore une douzaine de kilomètres et la dernière écluse de la journée. Je ferais ce chemin en 2h30 de plus…
Arrivé à destination vers 21h20, je repère l’endroit où je peux planter ma tente et à ma grande surprise je rencontre à nouveau un couple de cyclistes parti comme moi la veille au matin de Toulouse. Je suis super content de les avoir rejoins au bivouac.
Je suis fatigué, mais je ressens surtout des échauffements importants sous la plante des pieds. Je retire au plus vite mes chaussures et enfile des affaires sèches avant d’installer mon campement. Coup de téléphone à ma femme, repas chaud et bilan de la journée… Environ 64 km en 13h00.
Patrice m’appelle pour avoir des news en live. Je lui explique où j’en suis et j’ai l’impression qu’il m’envie un peu. Une bonne raison pour savourer chaque moment de cette aventure.
Je fais mes petits calculs pour le lendemain et compte encore 66 km et 25 écluses. Je décide de mettre mon réveil plus tôt et de partir à 7h30 pour gagner une demi-heure. Ma femme et mon plus jeune fils seront à l’arrivée demain soir et je ne veux pas les faire trop attendre…
3ème Jour :
Départ comme prévu à 7h30, au moment ou mes voisins de bivouac émergent à peine. Ils auront bien le temps de me rattraper…
1er objectif, trouver de l’eau dès que possible. Ce sera chose faite dès la première écluse avec un éclusier qui m’indiquera le point d’eau au 7ème platane après l’écluse à gauche… Quand je vous dis que ce canal est dans une autre dimension !
J’ai eu la mauvaise surprise de voir à mon réveil que mon GPS ne s’est pas rechargé correctement. Il ne me reste pas un quart de la charge. Je décide donc de ne marquer que quelques points de passage et referais mon parcours après sur Google Earth.
Mon objectif de la matinée est de rejoindre au moins le canal de jonction qui mène ensuite vers Narbonne. Environ 28 km que je pense faire en 5h30…
Une fois la dernière écluse passée avant la jonction, je sais que j’ai une grande portion d’environ 7 à 8 km sans portage ? C’est cool…
J’entends sur le bord une femme cycliste en sens inverse dire à son mari : « Tu vois je t’avais dis qu’il y avait 14 km entre les deux écluses ». Je ne suis pas sûr d’avoir compris et ils viennent peut-être de Béziers…
A ce moment là, je suis juste en eau, c'est-à-dire que jusqu’au prochain port, lieu de ravitaillement sûr, il ne faut pas que je fasse de gaspillage.
Depuis trois jours, j’ai été très attentif et concentré sur ma nourriture. Barres de céréales et eau très régulièrement pour ne jamais subir de faiblesses.
Je pagaye depuis plus de deux heures depuis la dernière écluse et toujours rien… Je n’atteins pas le port du Somail et doute même en pensant que j’aurais pu le rater. Je suis maintenant convaincu que je me suis trompé dans mes calculs de distances car après 2h30 j’aurais dû atteindre facilement mon but.
Je n’ai presque plus d’eau. Si je mange mes barres énergétiques, cela va me donner encore plus soif et je rentre sans trop m’en rendre compte dans une spirale de difficultés.
Après coup, j’analyserais que pendant presque 2 heures, en manque de sucre et d’eau, je n’avance plus. Qui plus est, je m’étais trompé dans mes calculs de 7 km.
L’arrivée au port du Somail est une délivrance. Je me réhydrate, m’alimente à nouveau normalement et fini par arriver à cette fameuse jonction, 35 km et 6h15 après mon départ.
Je m’accorde 10 minutes de pause pour finir de me « requinquer » et je repars. Ce sera finalement la seule pause de la journée.
Le canal de jonction comporte 7 écluses en 5 km. J’ai à peine le temps de me mettre à l’eau qu’il faut déjà porter tout mon matériel…
Je reste concentré, et je ne rate pas une occasion de refaire mon plein d’eau, quitte à emmener un peu plus de poids.
Avant de rentrer dans le canal de La Robine, il y a un petit passage sur la rivière de l’Aude. Je suis dans le bon sens du courant et c’est bon d’avoir un peu d’aide. 500 mètres après, c’est l’entrée dans la Robine, avec pour m’accueillir quelques jeunes qui sautent du pont de Moussoulens dans le canal. Il doit y avoir environ 5 mètres, et ils s’éclatent bien. Ca me donne le sourire pour continuer…
Autre raison de me donner le sourire, il ne reste « que » 5 écluses avant mon arrivée !
J’arrive entre 17h30 et 18h00 à l’écluse de Narbonne. Elle se trouve en plein centre ville, enclavée entre des immeubles d’habitation qui tombent directement dans le canal. Pas de soucis pour sortir de l’eau, mais impossible de se remettre à l’eau, hormis par un tout petit jardinet interdit au public qui donne accès à l’eau mais juste au niveau de l’écoulement. Donc gros bouillon…
Pas le temps de me poser la question de savoir si j’y vais ou pas, une personne du port de Narbonne vient me voir en me demandant ce que je fais là et en me disant que c’est totalement interdit pour mon type d’embarcation !
Je sens quand même qu’il n’est pas trop abrupt, et je lui réponds que je suis désolé mais qu’il doit me laisser passer. Je dois sembler suffisamment sûr de mon coup et déterminé car il finit par accepter quand je lui explique comment je compte faire.
Sur ce coup là, je suis à nouveau l’attraction du jour !
Je prends toutes les précautions qui s’imposent et ma remise à l’eau se passe comme prévu. D’en bas, je remercie mon sauveur…
Je suis très vite à la sortie de la ville et bataille maintenant avec les feuilles et les algues plus présentes que jamais sur cette partie de canal. Ce que je ne sais pas encore c’est que je vais slalomer et combattre ces algues pendant les prochains 20 km.
Je sais par contre que je suis très en retard sur mon programme et que l’éclusier de Narbonne m’a annoncé 4h00 encore jusqu’à Port-La-Nouvelle. C’est le temps normal en péniche, mais je sais depuis le départ que je vais à très peu de choses près à la même vitesse. La différence essentielle, c’est que les péniches, elles, ne se fatiguent pas.
Tout cela annonce une arrivée à 22h30 !
J’ai vraiment envie d’aller jusqu’au bout, et plus que jamais, je me dis que chaque coup de pagaie me rapproche de mon but.
Alors je pagaye, je slalome entre les algues et j’observe le soleil descendre derrière l’horizon…
Avant dernière écluse, au Club d’Aviron de Narbonne où j’avais eu l’occasion de ramer il y a quelques années…
Quelques personnes m’encouragent en sachant que je finis ma course à Port-La-Nouvelle et qu’eux vont continuer leur apéro entre potes sur le pont de leur bateau.
Je lutte toujours contre les algues lorsque je me sens assailli par les célèbres moustiques de la région. C’est normal, je viens d’arriver au bord de l’étang de Bages. Mais l’attaque est soudaine et fournie en assaillants. Pas la peine de me débattre longtemps, je m’arrête et attrape ma bombe avant de m’en asperger. C’est efficace et heureusement, mais certains ont quand même eu le temps d’arriver à leurs fins. Je profite de l’arrêt pour annoncer à ma femme que je serais très en retard…
Il est 21h00, il doit me rester 12 à 13 km avant d’arriver. Je jette mes dernières forces dans la bataille…
Enervé par les moustiques, galvanisé par la voix de ma femme qui n’est plus très loin, je suis concentré, je tire sur la pale de ma pagaie, je n’ai mal nulle part…
La nuit est tombée, la dernière écluse arrive et je vais la passer à la lueur de la lune presque pleine. Les occupants des péniches proches de l’écluse m’éclairent avec leurs torches pour savoir ce qui est sur le canal. Et moi j’avance, je m’arrête en haut de ce dernier barrage, je détache mon sac, je sors ma planche, je lie mon sac et ma tente, je passe ma pagaie dans la poignée, je mets ma planche sur l’épaule, prends pour la dernière fois mon paquetage grâce à ma pagaie qui me sers de poignée de portage, et je descends…
En bas de l’écluse, la nuit aidant, je ne trouve aucun endroit pour me mettre à l’eau facilement. Une galère de plus, mais qui ne m’affecte pas vraiment… Je fais attention de rester concentré pour ne pas glisser dans les hautes herbes. Je fais glisser ma planche pour tout aplatir en espérant qu’il n’y ait pas d’écueil. Je fixe enfin ma tente et mon sac, remonte avec précaution et souffle de soulagement d’être passé sans encombre.
C’est la dernière ligne droite. Les lumières de Port-La-Nouvelle sont parfaitement visibles, mais cela reste une illusion… Elles sont encore à environ 2,5 km droit devant !
Je suis à fond, il n’y a plus d’algues… Sur le chemin au bord du canal, je vois une voiture avancer vers moi tous phares allumés. Je sais que ma femme m’attends depuis 19h00, je ne prends pas le temps de regarder mais il est sûrement plus de 22h00… J’ai peur que ce soit elle qui vient à ma rencontre et me vois déjà craquer et ne pas aller jusqu’au point final. La voiture pleins phares m’éblouit jusqu’à me croiser… Ouf ! Ce n’est pas elle.
Je suis maintenant au niveau des premiers bateaux du port et je tourne à gauche pour maintenant rejoindre la mer. Le port est très en longueur et il reste environ 1 km… Je commence à me libérer en me disant que j’ai réussi, et je ne pense qu’à une chose, savourer ces derniers instants en évitant quand même les nombreuses lignes des pêcheurs du soir, présents dans le port.
Finalement, mon fils et ma femme viennent à ma rencontre juste avant l’arrivée à la plage, et je débarque au milieu des pêcheurs qui hallucinent d’apprendre que j’arrive de Toulouse…
Prochainement : Expériences et Analyses